Jacqueline LANGUMIER

Mine n'a jamais aimé le téléphone, ces dernières années elle avait travaillé son record au point que nos conversations ne dépassent pas la poignée de minutes "Bonjour c'est gentil de m'appeler, t'es où?" "Donc vous êtes heureux tous les deux?" "Moi ça va, je suis vieille, en tout cas t'es trop mignon de m'avoir appelé" et crac elle raccrochait. Elle avait plié notre dernier échange, le 26 juillet, en un substantiel 56 secondes.

Ça lui aurait fait plaisir, parce que si ma grand-mère n'aimait pas le téléphone, elle adorait les chiffres. Ce qui lui plaisait dans la récolte des groseilles et des reines-claudes ce n'était pas leur transformation. Ce que Mine aimait c'était le moment de la pesée. Elle avait à Domont un petit carnet, rempli de ses hiéroglyphes au crayon qui notait chaque année la quantité amassée, l'objectif à dépasser pour la suivante. Les gelées et confitures qui en résultaient relevant, elles, plutôt du dommage collatéral. Centaines de pots souvent dégueulasses, généreusement distribués à tout va, et qu'il fallait se taper, filialement, jusqu'à atteindre le délai acceptable pour s'en débarrasser.

Jusqu’à son premier AVC, ma grand-mère avait une connaissance encyclopédique des champignons et des fleurs, un vocabulaire vaste et précis et un amour de la tapisserie de fauteuil. Elle aimait les gros biftecks et les gros polars – avec pour les deux un penchant pour le sanglant. J’adorais ma grand-mère. J’adorais nos promenades en forêt à chercher des champignons et nos séances de jardinage. Je garde un souvenir effrayé de ces cours de cuisine (le secret est toujours bien malheureusement le beurre) et un souvenir cuisant de nos parties de scrabble. J’aimais lui réparer des trucs pour le plaisir de l’entendre me dire que j’étais intelligent. Je chérissais même les heures interminables devant les rediffusions de Meurtre au Paradis en VF à bailler d’ennui (« Mais VA te coucher ») qui me permettaient de profiter de sa présence.

Ces AVC de malheur avaient enlevé la tapisserie, le jardinage et les mots, transformés nos conversations en ronde. Mine je te confesse en avoir un peu profité : tu es la seule que j’avais mise dans le secret lors de ma préparation de ma demande en fiançailles à Kim. Et tu redécouvrais hebdomadairement et avec toujours le même plaisir le progrès des manigances.

Mais c’est vrai qu’il restait ton incroyable appétit de vivre, le goût de la nourriture, la douceur de tes animaux et la couleur de la mer. Et je suis heureux que la dernière fois que nous nous sommes vus, si je sentais bien que mon identité et ma place dans ton arbre généalogique se faisaient parfois un peu vagues, je te sentais en sécurité dans ma présence.

Ma grand-mère adorée, je suis orphelin de ton amour et de tes vacheries. Mais mon cœur, qui s’était cabossé en apprenant que tu avais passé la nuit perdue dans ta cave, cherche du réconfort dans la connaissance que tu as trouvé la sortie.

J'ai rencontré Mine en 2014; Célestin voulait me présenter officiellement à sa grand-mère. J'avais 18 ans et j'étais nerveuse de plaire à ce pillier familial qui lui importait tant. Mine m'a accueillie dans un cocon d'attentions, s'emerveillait du génie de Célestin qui venait de réparer sa Nespresso, et en sirotant son café très sucré remplissait d'une traite des mots-croisés auxquels je ne comprenais rien (prison pour esclaves en Rome antique, 9 lettres). Après un magistral dîner de daurades royales et de salicorne (et un grand bol de fraises à la crème) elle nous massacrait allègrement au scrabble, une main sur les dalles et l'autre sur la tête de sa chienne adorée. Quand je l'ai rencontrée elle travaillait sur son oeuvre: le jardin de Bretagne. Elle demandait à Célestin de lui prendre quelques rochers lourds de la plage et prenait de temps en temps une pause pour admirer la vue sur la mer. Je garde en tête ce souvenir d'elle et lui adresse tous mes remerciements, et toutes mes pensées à Brigitte, Éric, Célestin, Anatole et Léopoldine.

Toutes mes condoléances à la famille langumier, à ses filles et petite fille. Je serai en pensée avec vous en ce jour difficile.
Christine

Rencontrer Mine pour la première fois, la grand-mère aimée de Léopoldine, a été un moment important. À cette époque, je ne parlais guère français et je pensais que ce serait un obstacle incontournable entre nous. Je me suis trompé, pas avec Mine. Armée de sa blanquette, de son clafoutis et d'une bonne bouteille de rouge, elle a immédiatement traversé la barrière de la langue pour me faire me sentir accueilli et à l'aise. « Tu vois, il comprend, il est l'un des nôtres ! » s'est-elle exclamée à la table, avec un gentil sourire.

Il est difficile de concevoir que Mine soit vraiment partie, car je la vois si souvent : dans les expressions de ma fille, les histoires racontées par ma femme, ou l'humour de ma belle-mère. Elle vit toujours dans les racines et l'identité de ma famille, et j'adore qu'elle soit si présente. Fairwell, dearest Mine.

Chers tous,

Je vous envoie mes plus sincères condoléances,
Je pense fort à vous,
Marion

Toutes nos condoléances et nos meilleures pensées à ses filles Catherine, Sophie et Brigitte et sa petite-fille Gwendoline, ma fille ainsi que tous ses autres petits -enfants et sa l'ensemble de sa famille .
Nous penserons particulièrement à vous ce vendredi et prions pour que Mine soit accueillie dans la Paix et la Joie de la Lumière Divine et que s'atténuent pour vous les souffrances de la séparation .
Bruno & Michèle Mugnier.